La prise en compte des espèces protégées, et plus particulièrement la Mulette épaisse Unio crassus, dans les projets de restauration de cours d’eau est un enjeu fort aussi bien au niveau national qu’au niveau du Grand Est.
La connaissance d'Unio crassus en Grand-Est semble être de mieux en mieux appréhendée, notamment au travers des différents recensements menés par l'OFB, les associations naturalistes ou via les études réglementaires menées pour différents porteurs de projets. Cependant, un certain nombre de secteurs, voire de sous-bassins entiers, restent non prospectés et donc sans aucune connaissance. De plus, certains types de cours d'eau n'ont également pas fait l'objet d'études particulières, en premier lieu desquels, les grands cours d'eau. Le comité technique (Direction régionale de l'Environnement et du Logement Grand Est (DREAL), la Région Grand-Est, les Agences de l’eau Rhin-Meuse et de Seine-Normandie, l’Office français de la biodiversité (OFB) et les Conservatoires d’Espaces Naturels (CEN) Lorraine et Champagne-Ardenne) a décidé d’étendre les inventaires réalisés en Lorraine au territoire de la Champagne-Ardenne (Bassin Seine Normandie).
L'objectif de la présente étude est donc d’améliorer la connaissance de la répartition de l’espèce, sur la base des données actuelles. Les résultats obtenus permettront :
- d’évaluer en partie l’état des populations sur ce territoire en fonction du critère aire de répartition,
- d’anticiper l’intégration de l’enjeu Mulette épaisse dans les projets de restauration portés par les acteurs du territoire.
En complément des informations recueillies sur Unio crassus, les informations récoltées sur les autres espèces de bivalves patrimoniales ou invasives seront notamment analysées.
Méthode ADNe
La méthode utilisée afin de détecter la présence de la Mulette épaisse se base sur l’ADN environnemental (ADNe). Elle consiste à prélever les fragments d’ADN contenus dans des échantillons environnementaux (sol, eau, matières fécales).
L’analyse de ses séquences d’ADN permet de différencier les individus et détecter indirectement leur présence et généralement de déterminer l’espèce à laquelle ils appartiennent (Castagné et Castino, 2020).
Prélèvement des échantillons ADNe
Le protocole est relativement simple, mais rigoureux, une mauvaise manipulation pouvant engendrer un risque de contamination des échantillons récoltés ou une faible récolte d’ADN présente dans le milieu.
Le prélèvement s’effectue dans des zones à fort courant (cours principal, aval d’un radier…), le fort courant permettant de recueillir une plus grande quantité d’ADN dans un temps donné. Au sein des grands cours d’eau et cours d’eau trop profonds qui rendent le tronçon inaccessible en waders, il est préférable de réaliser le prélèvement depuis une embarcation ou à défaut, depuis les berges, au niveau de la rive concave. Dans le cadre de conditions de prélèvement pouvant impacter les résultats, les problèmes remontées sont notifiés.
Plan d’échantillonnage
Le plan d’échantillonnage a été établi en répartissant 50 prélèvements sur les cours d’eau champ-ardennais, selon les données naturalistes déjà collectées, de la base de données de l’OFB, des cours d’eau les plus susceptibles d’être concernés par des projets d’aménagement.
Une fois les cours d’eau ou tronçons de cours d’eau sélectionnés, la démarche est la suivante :
- cours d’eau de taille moyenne (exemple : Suippes, Vesle, Superbe, …), 3 points minimum.
- grands cours d’eau (Seine, Marne, Aisne, …), positionnement des points sur les tronçons les moins connus.
D’une manière générale, la distance entre 2 points d’échantillonnage est un multiple de 7/8 kilomètres (distance théorique de détection des espèces en amont d’un point).
Analyse des échantillons
Après extraction de l’ADNe sur le terrain, l’échantillon récolté est ensuite analysé en laboratoire (amplification de l’ADN avec des amorces universelles aux bivalves, séquençage ADN, analyse bio-informatique via une base de données génétique propre au groupe taxonomique à étudier) afin de définir la présence (ou la potentielle absence) des espèces ciblées, les bivalves de l’Ordre des Unionida et de Venerida dans le cadre de notre étude (méthode ADNe metabarcoding).
25 nouveaux tronçons avec présence avérée de l’espèce Unio crassus ont été recensés, laissant présager que l’espèce est relativement bien présente sur les grands cours d’eau du Bassin Seine Normandie. Les positifs se retrouvent au niveau de la Seine (100% des points avec présence avérée de l’espèce), la Marne (60% des points positifs) et affluents (3 affluents sur 7 positifs), la Voire affluent de l’Aube (100% des points positifs), l’Aisne (87,5% des points positifs) mais présente sur aucun des affluents suivis, la Vanne affluent de l’Yonne et l’Aire affluent de l’Oise. La plupart des résultats sont en adéquations avec les observations issues de la base de données OFB, lorsque des données existaient. A noter qu’il est cependant important de prendre en compte les points mentionnés comme absence certaine.
D’autres espèces menacées, inscrites sur la future liste rouge des mollusques du Grand Est, ont aussi été mises en évidence dans le cadre de cette étude, et notamment la rare mulette des rivières (Potomida littoralis), sur la Voire et l’Aisne.
En plus de la base de données de l’OFB et de l’étude génétique engagée par le CEN lorraine en 2020, la campagne ADNe Unio crassus de 2021 menée par le CENCA a grandement permis de combler les lacunes sur certains des cours d’eau de la Champagne-Ardenne, en plus de confirmer la présence sur d’autres cours d’eau ayant déjà fait l’objet de mention de l’espèce. Le plan d’échantillonnage s’étant grandement concentré sur les secteurs lacunaires, ceux ayant besoin de compléments d’informations, ou encore ceux les plus soumis à des projets, va sans nul doute permettre aux porteurs de projets et toutes autres structures concernées par la gestion des eaux, de mieux prendre en compte cette espèce.
Bien que la méthode d’échantillonnage nous ait permis d’obtenir un grand nombre de données en un minimum de temps, il semble cependant nécessaire de prendre en compte les possibles faux négatifs, certains tronçons ayant fait l’objet d’un temps de filtration relativement cours, ayant fait l’objet de peu ou d’aucune mention d’ADN dans l’échantillon prélevé laissant supposer un possible disfonctionnement dans le prélèvement, ou les tronçons n’ayant pu être prospectés dans les meilleures conditions. Ces tronçons ont été ciblés comme « absence incertaine ». A noter que SPYGEN n’a pas relevé de potentielle contamination en laboratoire.
Sur les tronçons mentionnés avec présence de Unio crassus, une détection à vue sera nécessaire afin d’affiner le tronçon concerné par la présence de l’espèce, l’ADN pouvant être retrouvée jusqu’à 7km en amont du point de prélèvement. Sur les secteurs n’ayant pas l’objet de la présence de l’espèce, cela n’abstient pas les porteurs de projets à réaliser des prospections visuelles ou autres prélèvements ADNe, d’autant plus si ces données d’absence sont considérées comme incertaines. Il serait aussi pertinent d’améliorer les connaissances sur la répartition de l’espèce en menant les porteurs de projets vers le CENCA afin d’envisager des points de prélèvements ADNe sur le tronçon concerné, sur les secteurs n’ayant fait l’objet d’aucune étude ADNe.